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Mukbang : Un nouveau phénomène international


Publié le 09/11/2021 par Mathilde Laup


Mukbang : Un nouveau phénomène international

Le mot lui-même est une contraction de « manger » et « diffuser », en coréen. À partir de là, rien de trop sorcier : cette pratique est apparue en Corée du Sud à l’aube de la dernière décennie. Elle consiste à avaler des quantités exagérées de nourriture devant sa caméra et à interagir avec sa communauté dans le chat en direct.

Se filmer en train de manger tout en parlant (la bouche pleine, en plus) à des gens derrière un écran d’ordinateur, si vous préférez. Et puis, souvent, le public suggère des idées de plats, de spécialités ou de restaurants, pour les prochaines vidéos. Mais ça, on y reviendra.


La tendance serait née à la télévision, sur la plateforme Afreeca TV, en Corée, où les animateurs se voyaient même recevoir des donations des spectateurs, des ‘fans’ via la messagerie instantanée. Ces animateurs, nommés les Broadcast Jockeys (BJs), très suivis et appréciés, voient cette sorte de rémunération de monnaie virtuelle comme une opportunité de vivre de leur passion. En effet, les plus populaires d’entre eux peuvent gagner jusqu’à 6.000 € par mois ! Vous imaginez ?

C’est (ou du moins, c’était, à l’époque) le cas notamment de la jeune Park Seo-Yeon, plus connue sous le nom de « La Diva », qui empoche tous les mois 6.500 €. Environ 9.000 $ par mois, pour 3 heures de taf par jour à s’empiffrer devant une caméra. Difficile à avaler… C’est donc de là que vient l’expression « travailler en s’amusant »…



Bon, se filmer en train de manger devant sa webcam, d'accord, mais pour quoi faire ?


Selon certains sondages et reportages, il est d’abord question d’un engouement pour la télévision alimentaire, en ceci qu’elle mélange cuisine et divertissement. De la même façon que la plupart des émissions culinaires, ces vidéos durent généralement 30 minutes. Elles peuvent aller jusqu’à 2 heures, laissant le temps aux animateurs de consommer toute leur nourriture. … Pourquoi pas, ça se tient.

Comme les BJs ne se gênent généralement pas pour manger le plus bruyamment possible, d’autres sources expliquent plutôt que si le concept de Mukbang plaît autant, c’est pour son côté ASMR. Littéralement « Autonomous Sensory Meridian Response », il s’agit d’une technique de relaxation composée de sons étranges, souvent faibles, qui déclenche a priori un bien-être intense. L’ASMR est très agréable pour les personnes sensibles aux bruits de bouche.

Néanmoins, l’argument le plus avancé par les fans serait la solitude. En regardant ces vidéos sur YouTube et autres réseaux sociaux, les spectateurs disent avoir l’impression de passer du temps en compagnie de quelqu’un, de partager leur pause déjeuner.

Et justement, si on remonte à la source pour appuyer cette réponse, il faut savoir qu’en Corée le moment du repas est très social et se fait beaucoup en famille. Ainsi, pour ceux qui vivent seuls, manger peut s’avérer déprimant… et c’est là qu’intervient le Mukbang ! Mille mercis, Internet.



Alors chouette, mais qu'en est-il de sa face cachée ?


Certes, le Mukbang semble plutôt inoffensif sous cet angle, mais on a également à faire à une autre réalité : la compensation alimentaire. Dans un premier temps, à travers ces vidéos, nombreux – ceux au régime, par exemple – disent satisfaire leur désir de nourriture par procuration.

En même temps, entre la junk food de Keemi dans ses « Mukbang ASMR », les comfort food de Trisha Paytas, et les plats coréens végétaliens de Mommy Tang, il y en a pour tous les goûts !

Mais l’effet que cela procure est-il réellement et purement bénéfique ? Manger un repas normal ne fonctionnerait pas tout aussi bien ? Supposons qu’il n’y ait pas de bonne ou de mauvaise réponse, quoiqu’il en soit, ce n’est pas tout le monde qui utilise le Mukbang comme prétexte pour tenir son régime et manger moins.
En effet, dans un second temps, en Corée du Sud, puisque l’obésité est en augmentation, cette pratique est particulièrement critiquée, parfois jusqu’à faire polémique. Quelques personnes seraient incitées à reproduire ce qu’ils regardent et se mettraient à manger toutes sortes de nourriture en très grosse quantité.

L’expérience amènerait à des troubles alimentaires pour certains et induirait pour la grande majorité des spectateurs à des comportements de frénésie alimentaire. La nuisance sur la santé publique est donc bien réelle.

Ainsi, la tendance ferait manger moins, manger plus, mais surtout manger mal. C’est notamment ce qu’a observé la revue scientifique médicale britannique The Lancet en mars 2020.
Certaines vidéos et émissions pourraient avoir favorisé des « comportements à risque sanitaire et épidémique ». Manger des kilos de nourriture trop grasse, trop sucrée, trop salée ce n’est déjà pas terrible pour la santé, mais manger des pieuvres, des grenouilles et des rats crus (souvent vivants), c’est encore pire.

En janvier 2020, la vidéo d’une femme d’origine chinoise, Wang Mengyun, en train de manger une chauve-souris dans un restaurant est devenue virale sur toutes les plateformes de réseaux sociaux, à commencer par Twitter et TikTok.
Non seulement la publication a fait couler beaucoup d’encre sur la toile à cause de l’épidémie de la COVID-19, mais cela prouve une fois de plus à quel point la pratique a pris une dimension étrange et dangereuse.



Le Mukbang, un phénomène international ?


Très populaire en Corée, le Mukbang se démocratise également dans d’autres pays, aux États-Unis surtout. Bethany Gaskin, considérée comme la reine du Mukbang américaine, s’est vue consacrée une longue page dans le New York Times à ce sujet. Elle compte aujourd’hui près de 3 millions d’abonnés sur sa chaîne YouTube, et a révélé avoir gagné aux alentours d’un million de dollars grâce à ses vidéos.

En France, le concept du Mukbang n’est pas exactement le même qu’ailleurs dans le monde. Le mot d’ordre ici est convivialité, et non pas compétition (ou bêtise). Naturellement, il n’est pas question d’ingurgiter d’importantes quantités de nourriture, mais plutôt d’échanger avec ses abonnés tout en mangeant tranquillement, en compagnie d’un proche la plupart du temps.
Bilal Hassani, candidat à l’Eurovision 2019, ou encore Shera Kerienski, l’as de l’astrologie et du franc-parler, ont participé, entre autres, au Mukbang le temps d’une vidéo récemment. L’ampleur n’est donc pas la même en France, et les répercussions non plus.

Quant à la Belgique, ce sont bien-sûr nos frites et nos fricadelles que l’on peut retrouver sur YouTube. C’est Dayjee, souvent aux côtés de sa fille, Laura, qui sort du lot avec ses dégustations belges, mais aussi libanaises ou anglaises. De plus en plus de personnes s’adonnent à la découverte de nouvelles gastronomies par le biais du Mukbang, et la cuisine belge est plutôt populaire sur la plateforme. En même temps, il y a de quoi !



Et l'impact sur les restaurants, quel est-il ?


Ce sont souvent les mêmes enseignes et chaînes de restauration que l’on retrouve un peu partout, quel que soit le coin du monde. La plupart sont ainsi mondialement connus, d’autres beaucoup moins. Le fait de se filmer en train de manger la nourriture d’un certain café, d’une certaine brasserie, crêperie ou pizzeria, et d’en donner le nom, peut avoir des retombées positives pour ces restaurants !

En effet, le BJ, si ses vidéos lui rapportent suffisamment de notoriété, peut – volontairement ou non – apporter des consommateurs, et donc de la visibilité et de la réputation, à ces dits-restaurants. En disant dans ses vidéos que la nourriture qu’il mange est bonne, il incite ses spectateurs à aller l’essayer à leur tour.



Et, justement, si vous voulez tenter l’expérience, découvrir de nouvelles spécialités et de nouveaux restaurants, voici quelques adresses aux quatre coins du monde :

  • Ristorante Grotta Palazzese, en Italie, pour ses recettes qui varient en fonction de la pêche
  • Horia, à Bruxelles, pour ses faits-maison libanais et marocains bio
  • Grimbergen Cafe, dans le quartier de la Sainte Catherine à Bruxelles, pour redécouvrir la cuisine traditionnelle et végétarienne belge
  • le Ch’ti Charivari, à Arras, pour ses spécialités savoyardes
  • • ou encore, le restaurant du Blue Margouillat, à l’Île de la Réunion, pour goûter les produits locaux et exotiques aux saveurs affirmées et aux goûts prononcés.

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